Ciné Art ~ Mai 2012

Vend. 25 mai 2012 - 20h - Caméo Ariel Metz

Un Héritier

UN HÉRITIER
Film de Jean-Marie Straub
Texte tiré du roman Au service de l’Allemagne de Maurice Barrès.
Avec Joseph Rottner, Jubarite Semaran, Barbara Ulrich.
Caméra: Renato Berta, Christophe Clavert.
Son: Dimitri Haulet, Julien Gonzales.
Assistants: Arnaud Dommerc, Maurizio Buquicchio, Grégoire Letouvet.
Les Fées Productions – Belva GmbH, JEONJU DIGITAL PROJECT 2011.
2011. 20 minutes. Digibéta PAL, couleur, son mono, format 4:3.

Après Lothringen !, Jean-Marie Straub, natif de Metz, retourne en 2010 dans l’Est, en Alsace cette fois-ci, pour réaliser le deuxième volet du diptyque Barrès. Il s’agit d’un texte tiré du livre Au service de l’Allemagne, écrit par Barrès en 1903. Un héritier suit les traces d’un jeune médecin de campagne en promenade au Mont Sainte-Odile, à travers les chemins qu’a connus Barrès, jusqu’à la maison forestière de Ratsamhausen et autour du célèbre «mur païen».
Le personnage du jeune médecin est inspiré du docteur Pierre Bucher, qu’a connu Barrès, auquel il rend hommage dans la préface de l’édition de 1923 d’Au service de l’Allemagne. (Extrait du dossier de presse)

Pour Un Héritier, merci beaucoup.
par Peter Kammerer
Deux hommes en promenade. On voit leur dos, on entend leur voix, de temps en temps le sable crisse.
Il est rougeâtre comme le grès de la cathédrale de Strasbourg ou de Fri­bourg. Nous sommes dans les Vosges (cela pourrait être aussi en Forêt Noire). On ne comprend pas tout de suite ce que veut au juste l’homme d’un certain âge, dans son costume d’une élégance ancienne. Sa tête grise, il la tient un peu inclinée.
Quelquefois il tâte le sol avec sa canne. Des fougères et de l’herbe sous des arbres hauts (forêt mixte), quelques petits sapins. Des rochers épars. Des myrtilles devraient pousser ici. Ensuite parle le plus jeune, dans son manteau mi-long noir. Il est question de l’Alsace française et alle­mande, reconquise et colonisée en 1871 par les Prussiens. Beaucoup de francophiles en sont partis. Il est resté. «Pourquoi diable?», demande le monsieur d’un certain âge, qui vient de Lorraine, région souffrant elle aussi de la domination allemande. «Je suis un héritier. Je n’ai ni l’envie ni le droit d’abandonner des richesses déjà créées».
Long silence. Nous sommes sur le Mont Sainte Odile. Le Odilienberg. Le regard suit les promeneurs jusqu’au tournant du large sentier. Un dos jeune, tendu et un plus vieux sur lequel peut se lire une vie digne. Le dos semblable à celui d’un officier congédié fait penser à Tellheim. Qu’y-a-t-il de si émouvant dans son attitude pour qu’elle dise plus que des mots échangés? C’est seulement lorsque les deux hommes dispa­raissent, presque au tournant du chemin, que ce qui est dit devient inté­ressant. «Des paroles qui sortent de la terre».
Que pensent les paysans dans leurs mares et les citoyens dans les petites villes endormies? L’Alsace est-elle allemande, est-elle française, qu’est-ce-qui est faux dans la question? Que font les Allémaniques dans l’école de France? Goethe à Strasbourg, Büchner s’enfuit à Strasbourg. Une photo de mon enfance:
Retour au Reich, le Führer devant la cathédrale de Strasbourg. Des Alsa­ciens à Stalingrad, des Alsaciens dans la Résistance, une Juive strasbour­geoise cachée à Florence. Des indignés furent fusillés durant la dernière semaine de la guerre, comme déserteurs dans la forêt de Rammerswei. Nous passions devant le petit monument quand la famille faisait ses promenades du dimanche le long de la Moos, d’où Grimmelshausen surplombait la haute-Alsace et la basse-Alsace, où «la ville de Stras­bourg avec son haut clocher est pareille au coeur rayonnant au sein d’un corps». Nous détournions notre regard. Pourquoi diable Straub ressort-il la vieille histoire, ouvre-t-il une blessure qui n’en est plus une depuis longtemps, qu’il faudrait rechercher avec une baguette de sourcier ? L’Histoire est-elle irréparable? En 1994, sa réponse était: «je crois que cet «irréparable» est important aujourd’hui. Car on essaie de nous faire avaler que tout est réparable. Mais les blessures sont les blessures. Elles peuvent guérir mais elles restent comme cicatrices. Et ce ne sont pas que les Français et les Allemands, qui sont morts à la guerre».
Les promeneurs s’arrêtent dans une maison forestière. Une jeune femme apporte à boire. Ehrmann, le plus jeune en manteau mi-long noir, lui a sauvé la vie. Il était étudiant, pas encore médecin. Une histoire drama­tique. Tout faire pour être utile au pays et aux gens. Maintenant nous regardons le narrateur en face. Plus tard, arrivé sur la montagne, le jeune homme s’appuie à un muret, qui sort de la terre à peine diffé­rent des rochers et du sol. Une énorme muraille circulaire, celtique. Des restes sont là pour le regard, qui n’a qu’un vague souvenir. De l’époque préchrétienne, un «Mur Païen», une carrière pour le monastère. Après la défaite de Wörth en 1870 le tocsin sonna. Les vainqueurs ont voulu réduire l’usage du français au strict minimum. «Ces images de mon en­fance me font mal. Nous autres, jeunes citoyens alsaciens, avons grandi dans une atmosphère de conspiration, de peur et de haine».
Y-a-t-il une patrie sans de telles blessures? Yougoslavie, Irak, Palestine, Afghanistan, Libye, Lampedusa ...
Des attaques aériennes pour la protection des populations civiles, des massacres, pour éviter des massacres. Les bien-portants bombardent les blessés. Ils peuvent le faire, parce qu’ils ne savent rien de leurs propres blessures. Vue sur la muraille, là où elle est encore prodigieuse, vue dans la forêt, sur des traces dans le sol comme des tombes. Vue jusqu’à Buti.
(Extrait du dossier de presse)

 

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