UN
HÉRITIER Film de Jean-Marie Straub Texte tiré du roman
Au service de l’Allemagne de Maurice Barrès. Avec Joseph Rottner, Jubarite
Semaran, Barbara Ulrich. Caméra: Renato Berta, Christophe Clavert. Son:
Dimitri Haulet, Julien Gonzales. Assistants: Arnaud Dommerc, Maurizio Buquicchio,
Grégoire Letouvet. Les Fées Productions – Belva GmbH, JEONJU
DIGITAL PROJECT 2011. 2011. 20 minutes. Digibéta PAL, couleur, son mono,
format 4:3.
Après Lothringen !, Jean-Marie Straub, natif de Metz,
retourne en 2010 dans l’Est, en Alsace cette fois-ci, pour réaliser le
deuxième volet du diptyque Barrès. Il s’agit d’un texte tiré
du livre Au service de l’Allemagne, écrit par Barrès en 1903. Un
héritier suit les traces d’un jeune médecin de campagne en promenade
au Mont Sainte-Odile, à travers les chemins qu’a connus Barrès,
jusqu’à la maison forestière de Ratsamhausen et autour du célèbre
«mur païen». Le personnage du jeune médecin est inspiré
du docteur Pierre Bucher, qu’a connu Barrès, auquel il rend hommage dans
la préface de l’édition de 1923 d’Au service de l’Allemagne. (Extrait
du dossier de presse) |
Pour
Un Héritier, merci beaucoup. par Peter Kammerer Deux
hommes en promenade. On voit leur dos, on entend leur voix, de temps en temps
le sable crisse. Il est rougeâtre comme le grès de la cathédrale
de Strasbourg ou de Fribourg. Nous sommes dans les Vosges (cela pourrait
être aussi en Forêt Noire). On ne comprend pas tout de suite ce que
veut au juste l’homme d’un certain âge, dans son costume d’une élégance
ancienne. Sa tête grise, il la tient un peu inclinée. Quelquefois
il tâte le sol avec sa canne. Des fougères et de l’herbe sous des
arbres hauts (forêt mixte), quelques petits sapins. Des rochers épars.
Des myrtilles devraient pousser ici. Ensuite parle le plus jeune, dans son manteau
mi-long noir. Il est question de l’Alsace française et allemande,
reconquise et colonisée en 1871 par les Prussiens. Beaucoup de francophiles
en sont partis. Il est resté. «Pourquoi diable?», demande le
monsieur d’un certain âge, qui vient de Lorraine, région souffrant
elle aussi de la domination allemande. «Je suis un héritier. Je n’ai
ni l’envie ni le droit d’abandonner des richesses déjà créées». Long
silence. Nous sommes sur le Mont Sainte Odile. Le Odilienberg. Le regard suit
les promeneurs jusqu’au tournant du large sentier. Un dos jeune, tendu et un plus
vieux sur lequel peut se lire une vie digne. Le dos semblable à celui d’un
officier congédié fait penser à Tellheim. Qu’y-a-t-il de
si émouvant dans son attitude pour qu’elle dise plus que des mots échangés?
C’est seulement lorsque les deux hommes disparaissent, presque au tournant
du chemin, que ce qui est dit devient intéressant. «Des paroles
qui sortent de la terre». Que pensent les paysans dans leurs mares et
les citoyens dans les petites villes endormies? L’Alsace est-elle allemande, est-elle
française, qu’est-ce-qui est faux dans la question? Que font les Allémaniques
dans l’école de France? Goethe à Strasbourg, Büchner s’enfuit
à Strasbourg. Une photo de mon enfance: Retour au Reich, le Führer
devant la cathédrale de Strasbourg. Des Alsaciens à Stalingrad,
des Alsaciens dans la Résistance, une Juive strasbourgeoise cachée
à Florence. Des indignés furent fusillés durant la dernière
semaine de la guerre, comme déserteurs dans la forêt de Rammerswei.
Nous passions devant le petit monument quand la famille faisait ses promenades
du dimanche le long de la Moos, d’où Grimmelshausen surplombait la haute-Alsace
et la basse-Alsace, où «la ville de Strasbourg avec son haut
clocher est pareille au coeur rayonnant au sein d’un corps». Nous détournions
notre regard. Pourquoi diable Straub ressort-il la vieille histoire, ouvre-t-il
une blessure qui n’en est plus une depuis longtemps, qu’il faudrait rechercher
avec une baguette de sourcier ? L’Histoire est-elle irréparable? En 1994,
sa réponse était: «je crois que cet «irréparable»
est important aujourd’hui. Car on essaie de nous faire avaler que tout est réparable.
Mais les blessures sont les blessures. Elles peuvent guérir mais elles
restent comme cicatrices. Et ce ne sont pas que les Français et les Allemands,
qui sont morts à la guerre». Les promeneurs s’arrêtent dans
une maison forestière. Une jeune femme apporte à boire. Ehrmann,
le plus jeune en manteau mi-long noir, lui a sauvé la vie. Il était
étudiant, pas encore médecin. Une histoire dramatique. Tout
faire pour être utile au pays et aux gens. Maintenant nous regardons le
narrateur en face. Plus tard, arrivé sur la montagne, le jeune homme s’appuie
à un muret, qui sort de la terre à peine différent des
rochers et du sol. Une énorme muraille circulaire, celtique. Des restes
sont là pour le regard, qui n’a qu’un vague souvenir. De l’époque
préchrétienne, un «Mur Païen», une carrière
pour le monastère. Après la défaite de Wörth en 1870
le tocsin sonna. Les vainqueurs ont voulu réduire l’usage du français
au strict minimum. «Ces images de mon enfance me font mal. Nous autres,
jeunes citoyens alsaciens, avons grandi dans une atmosphère de conspiration,
de peur et de haine». Y-a-t-il une patrie sans de telles blessures? Yougoslavie,
Irak, Palestine, Afghanistan, Libye, Lampedusa ... Des attaques aériennes
pour la protection des populations civiles, des massacres, pour éviter
des massacres. Les bien-portants bombardent les blessés. Ils peuvent le
faire, parce qu’ils ne savent rien de leurs propres blessures. Vue sur la muraille,
là où elle est encore prodigieuse, vue dans la forêt, sur
des traces dans le sol comme des tombes. Vue jusqu’à Buti. (Extrait
du dossier de presse) |